Le 8 Août 1944 se sont déroulés en forêt de Civrais de violents combats opposants trois maquis de la Résistance armée à une compagnie de « Sécurité » allemande venue les exterminer. L’implantation stratégique, l’organisation tactique de ces trois maquis associés au S.O.E (*) et correctement armés, font de cet événement dramatique un épisode singulier et inédit par son issue qui préfigure la libération du département seulement deux mois après le débarquement des alliés en Normandie.
(*) S.O.E (Special Operations Executive): Organisation secrète britanique créée par Winston Churchill pour soutenir les mouvements de résistance.
1 – L’implantation des maquis en forêt de Civrais
Entre le 6 juin et le 5 août 1944 sont rassemblés stratégiquement en forêt de Civrais trois importants maquis :
(1) Le 201ème bataillon FTPF «14 juillet» commandé par capitaine Jean Dagouret (Gaby) implanté début juin.
(2) La 22ème brigade de guérilleros espagnols, commandée par le lieutenant Domingo Serra Pique, arrive fin juillet des taillis de Champroux au nord de la commune de Saint-Plaisir ou elle ne se sent plus en sécurité. Elle s’installe à proximité du camp FTPF «14 juillet» dont elle dépend. Elle est composée de républicains espagnols aguerris au combat durant la guerre d’Espagne. Les guérilleros espagnols sont ravitaillés par la ferme de Gondoux (8) dont ils assurent la protection.
(3,4) Le maquis AS-MUR commandé par le capitaine Jean Villechenon (Vincent) arrive le 5 août de la ferme de Fretière (9) non loin où il se sait repéré. La première section s’installe au chalet et dans la ferme de l’Hermitage (4) exploitée par la Famille Friaud et la deuxième section s’installe dans la ferme de Bouillole (3) exploitée par la famille Péguy.
Les points de repères :
(1) Implantation du maquis FTPF « 14 Juillet »
(2) Implantation de la 22ème brigade de Guérilleros espagnols
(3) Implantation de la 2ème section AS – MUR « Villechenon »
(4) Implantation de la 1ère section AS – MUR « Villechenon »
(5) Carrefour surplombant la ferme où les allemands installent une mitrailleuse lourde.
(6) Ligne forestière reliant l’Hermitage à Bouillole. Sert de voie de communication entre les deux sections AS – MUR.
(7) Maison forestière
(8) Ferme de Gondoux qui ravitaille les Guérilleros Espagnols.
(9) Ferme de Fretiere que quitte le maquis AS – MUR « Villechenon » le 5 août pour s’installer à Bouillole.
Arrivent également avec le maquis Villechenon trois agents anglais de la mission « Freelance » du S.O.E parachutés quelques semaines auparavant et commandés par John Farmer (Hubert) agent secret du MI6. Les deux autres agents sont Nancy Wake (Andrée) et Denis Rake l’opérateur radio du groupe. En liaison avec Londres grâce à une radio ondes courtes dont le très long fil d’antenne est tendu sur la façade de la ferme de l’Hermitage, ils assurent en grande partie l’approvisionnement en armes anglaises et américaines des trois maquis présents.
La 2ème section AS-MUR du capitaine Villechenon installée dans la ferme de Bouillole est commandée par le lieutenant Gaston Balland, chef de Gendarmerie entré dans la Résistance. Le lieutenant Balland avait organisé la défense de la ferme suivant un plan précis mettant en œuvre une ligne de résistance avec quatre fusils mitrailleurs couvrant tous les angles d’attaques possibles et une ligne de replis à l’orée de la forêt. La maison forestière (7) est utilisée par les maquis pour stocker la nourriture et faire la cuisine.
2 – Contexte la veille de l’attaque
Dans la nuit du 7 au 8 août 1944 une partie des maquisards des différents groupes réceptionnent un important parachutage d’armes au Bois de l’Aume sur la commune d’Ygrande, dont quelques bazookas et deux instructeurs américains arrivant en renfort. Une fois le matériel mis en sécurité, tous les combattants partent se reposer le restant de la nuit mais restent en alerte, habillés, car certaines informations font craindre une attaque allemande imminente.
Concomitamment a lieu tôt le matin dans la ferme de l’Hermitage une importante réunion de la mission interalliée. Y sont présents les responsables départementaux des FFI de la région R6 Émile Coulaudon (Gaspard) et son adjoint Antoine Llorca (Laurent), les chefs de maquis (*) ou leurs représentants, les agents du S.O.E John Farmer, Nancy Wake, Denis Rake, les deux instructeurs américains parachutés dans la nuit Reeve Schley et John Alsop, ainsi que les agents de liaison du réseau R6 Maurice Blanc, Lucien Blanc et Aimé Jubier.
(*) Contrairement à un mythe encore vivace, le capitaine Villechenon était bien présent à l’Hermitage dans la nuit du 7 au 8 août 1944.
Côté allemand, le 7 août, le capitaine Burkart commandant la 8ème compagnie du 192ème régiment de «sécurité» stationné à Montluçon, rédige un ordre d’opération pour le 8 août. Il ordonne au lieutenant Molzen de «ratisser» le secteur de Bourbon-l’Archambault et de la forêt de Civrais avec deux sections de la compagnie, renforcée par une section de mitrailleuses lourdes. Il est à noter qu’à ce stade, les renseignements transmis par Burkart à Molzen, hormis la localisation de maquis en forêt de Civrais, sont imprécis et même incorrects s’agissant de la menace «terroriste» à Bourbon-l’Archambault.
3 – L’attaque du 8 août :
Alors que les maquisards opèrent la réception de leur parachutage, le groupe de combat allemand quitte la caserne de Montluçon, il est 3h du matin. Il est repéré à Ygrande vers 4h du matin où il stationne un certain temps avant de repartir en direction de Bourbon-l’Archambault. Il parvient dans le centre de Bourbon-l’Archambault où son passage ne passe pas inaperçu, et s’arrête un long moment à proximité d’un hôtel. Des officiers allemands descendent des camions et entrent dans l’établissement en compagnie de deux collaborateurs français qui leur indiquent des points précis sur une carte d’état-major étalée sur une des tables de l’hôtel. Renseignements en main, le convoi reprend la route. Le jour est levé lorsque le convoi parvient au carrefour des routes Bourbon-l’Archambault-Theneuille et Ygrande-Couleuvre. Les 12 à 15 camions, dont un à deux prévus pour le pillage, s’immobilisent le long de la haute haie de la route de Bourbon-l’Archambault d’où ils ne peuvent être aperçus des maquisards situés dans la ferme. Les fantassins allemands descendent des camions et se faufilent le long des haies coté Est et Ouest (1) en direction de la ferme afin de prendre celle-ci en tenaille. En même temps, une mitrailleuse lourde est installée au milieu de ce carrefour d’où la vue est parfaitement dégagée sur la ferme de Bouillole et l’orée du bois (photo ci-dessous).
Le combat s’engage lorsque les deux sentinelles qui gardent le chemin d’accès à la ferme (2) aperçoivent les premiers allemands se faufilant le long des haies et ouvrent le feu. L’assaut sauvage et violent ne leur laisse aucune chance mais l’alerte est donnée et les maquisards de la 2ème section AS-MUR gagnent leurs postes de combat autour de la ferme alors que la mitrailleuse lourde ouvre le feu depuis le carrefour. Quatre fusils mitrailleurs disposés conformément au plan de défense défini par le lieutenant Balland font face à la déferlante allemande. Ce dispositif parvient à ralentir puis stopper une moment la progression de l’assaillant, ce qui donnera le temps aux maquisards FTPF du camp « 14 Juillet », aux guérilleros espagnols et à la 1ere section AS-MUR, de rejoindre la ligne de feu. A l’aide de renforts supplémentaire et une autre mitrailleuse montée sur un camion, les allemands relancent le combat. Face à la puissance de l’attaque, les maquisards rescapés de la deuxième section AS-MUR qui tiennent encore la ferme décrochent en deux étapes vers l’orée du bois tout proche. Jean Baziret et Antoine Wika ferment la marche et protègent le repli de leurs camarades face à la horde allemande qui envahit la ferme. C’est à ce moment qu’ Antoine Wika trouve la mort. Jean Baziret quant à lui, parvenu à s’extraire de la ferme, se heurte à un groupe d’allemands qui avançait à la lisière de la forêt. Il tire sur l’officier commandant le groupe et lance une grenade dont l’effet lui permet de gagner l’orée du bois ou il retrouve ses camarades. L’arrivée des renforts maquisards stoppe définitivement l’avance allemande à l’orée du bois.
Les points de repères :
(1) 1ère tentative d’encerclement de la ferme de Bouillole par les Allemands
(2) Combat dans la ferme de Bouillole
(3) 2ème tentative d’encerclement par les Allemands
(4) Combat dans la forêt, route de Saint-Pardoux
(5) Tentative d’investissement de la ferme de Gondoux par les Allemands
(6) Combats dans la ferme de Gondoux
(*) Zone de combats
Les Allemands pillent et incendient la ferme puis la grange après avoir massacré ceux de ses habitants : Francisco Pamies, 19 ans, commis de la ferme, abattu dans un champ derrière la grange et Michel Péguy 14 ans, un des trois enfants enfants de la famille Péguy qui se cachait dans la grange. Le reste des membres de la famille Péguy est extrait de la ferme pour être fusillée. Elle doit la vie sauve à Armand Péguy qui, revenant de captivité ou il a appris quelques mots d’allemand, proteste vigoureusement et parvient à convaincre l’officier allemand de l’innocence de la famille. Après cette relative accalmie, alors que Bouillole est en feu, les Allemands repartent en direction de Gennetines, investissent et pillent la maison forestière dont ils semblent faire leur PC. Des camions allemands dont le premier est surmonté d’une mitrailleuse, tentent un second mouvement d’encerclement (3) en s’engageant sur la route de Saint-Pardoux mais subissent le feu croisé de tous les groupes de Résistance concentrés dans les bois (4), y compris à la grenade, qui fait taire la mitrailleuse.
Ils sont contraints de faire demi-tour et regagnent leur point de départ. Deux autres camions tentent d’investir la ferme de Gondoux (5) mais sont accueillis par les fusils mitrailleurs des guérilleros espagnols dont les tirs atteignent également la maison forestière ce qui contraint les Allemands qui s’y trouvent à se mettre à couvert. Les camions criblés de balles font demi-tour en toute hâte et rejoignent la maison forestière.
4 -Epilogue
Finalement, vers 13h30, après de longues heures de combat, les troupes allemandes battent en retraite face à des maquisards insaisissables qu’ils ne parviennent pas à encercler et dont le feu nourri leur cause des pertes importantes. D’après la délégation spéciale mise en place en mairie par les autorités de Vichy et deux autres témoignages concordants, les pertes allemandes s’élèveraient à une quarantaine de morts et une trentaine de blessés.
En plus des 2 victimes civiles, la Résistance comptera 8 morts dans les rangs de la compagnie VILLECHENON et de nombreux maquisards blessés :
Michel PEGUY
Stanislas DOBROWOLSKI
Jacques RANOUX
Jean ISNARD
Francisco PAMIES
Elian KOTAKIS
Marcel GUICHON
Micezlaw MIRSKI
Roger RUHLMAN
Antoine WIKA
Saluons et rappelons la mémoire de ces combattants, très jeunes pour la plupart, venus d’horizons divers et parfois lointains, qui ont défendu avec courage la liberté sur le sol bourbonnais.
Leur sacrifice et leur engagement, auxquels il faut associer l’engagement de leurs camarades rescapés, n’auront pas été vains car ils auront permis de mettre en déroute la horde sauvage venue les exterminer. Ils auront également protégé les populations des villages alentours ainsi que l’état-major FFI de la région R6 et la mission «Freelance» présents à l’Hermitage dont la valeur ajoutée à la libération de notre département un mois plus tard, ajoutée à celle des combattants de la Résistance qu’elle a dirigés, fut déterminante.
Enfin, n’oublions jamais le traumatisme vécu par la famille Péguy, particulièrement Henri et Madeleine, les frères et sœurs de Michel qui ont vu disparaître leur frère aîné avec une violence extrême, assisté au pillage de tous leurs biens et à l’incendie de leur maison d’habitation.
Comité Nord-Allier de l’Association Nationale des Anciens Combattants et Amis de la Résistance
Sources Documentaires
•« Et les bourbonnais se levèrent » d’André Sérézat
•« Faits Divers 1939 – 1945 » de Robert Fallut
•« L’odyssée bourbonnaise du capitaine Vincent et de sa compagnie fantôme» de Jean Blévin
• Archives du Puy de Dôme
• Archives de Maurice Blanc
• Archives de Jean Ameurlain
• Témoignages de :
- Jean Vilatte, combattant AS – MUR engagé à Bouillole
- Jean Blévin, combattant AS – MUR engagé à Bouillole
- Jean Baziret, combattant AS – MUR engagé à Bouillole
- Louis Paul, combattant FTPF engagé à Bouillole
- Jaques Abot, combattant FTPF engagé à Bouillole
- Lucien Blanc, combattant AS – MUR engagé à Bouillole
- Maurice Blanc, combattant AS – MUR engagé à Bouillole
« Liberté, j’écris ton nom… »
Paul Eluart